Octobre. Fin de la première période.
Le dernier jour avant de partir en vacances, j’ai pris un moment pour parler avec mes élèves et leur rappeler quelque chose d’essentiel sur l’apprentissage.
Je leur ai demandé :
« Quel est le but d’un jeu vidéo ? »
Immédiatement, ils m’ont répondu avec enthousiasme : « C’est pour gagner, atteindre un objectif, vivre une aventure, etc. »
Mais je les ai interrompus : « Non, ce n’est pas ça. Le vrai but d’un jeu vidéo, c’est de ne plus rater ce que vous avez raté la première fois. »
Quoi ?!?
Je leur ai expliqué que dans un jeu vidéo, pour progresser et atteindre la fin, il faut avancer en faisant des hypothèses ET en passant à l’action.
On essaie quelque chose, on échoue, et on apprend de cet échec.
Ce qui est important, ce n’est pas de ne jamais rater, mais de ne pas refaire ce qui a déjà échoué.
J’ai dit :
« Dans le jeu, comme dans la vie, vous faites des hypothèses, vous passez à l’action, vous observez ce qui se passe. Si cela ne fonctionne pas, vous ajustez, vous recommencez en évitant les mêmes erreurs. Une erreur, c’est simplement répéter quelque chose que vous savez déjà être incorrect. »
Dans une salle de classe, c’est exactement comme dans un jeu vidéo.

« Chaque jour, vous avancez, vous tentez de nouvelles choses, vous faites des hypothèses et vous testez vos idées. L’apprentissage, c’est comme une série de niveaux : parfois on réussit, parfois on doit réessayer plusieurs fois. Ce n’est pas l’échec qui compte, mais la manière dont vous apprenez à ne plus répéter les mêmes erreurs et à ajuster vos actions. »
Voilà ce que je leur ai dit.
Dans ma pédagogie agile, ce sont ces deux notions fondamentales que j’essaie d’inculquer à mes élèves : l’hypothèse et l’erreur. Bien qu’elles soient souvent confondues, ces deux notions sont en réalité très différentes, et cette distinction est essentielle pour comprendre l’apprentissage. Chaque mot possède en lui un univers ou un contrat performatif. 
Commençons par l’hypothèse.
Faire une hypothèse, c’est se projeter dans l’avenir.
Une hypothèse, c’est une idée que l’on formule avant de passer à l’action, une anticipation de ce qui pourrait se passer. C’est un processus mental qui consiste à imaginer une solution potentielle à un problème donné. L’hypothèse est donc tournée vers le futur. Elle permet de s’aventurer dans l’inconnu avec une intention claire : tester une idée. En cela, l’hypothèse est liée à une démarche scientifique. Les scientifiques, avant de mener une expérience, émettent des hypothèses. Ils ne savent pas encore si celles-ci sont correctes, mais ils sont prêts à les tester pour découvrir ce qui fonctionne ou non.
Dans une salle de classe, comme dans un laboratoire scientifique, faire des hypothèses est un acte courageux. Cela demande aux élèves de prendre des risques, de sortir de leur zone de confort. Ils doivent anticiper le résultat de leurs actions, puis observer si ce résultat correspond à leurs attentes. S’il ne correspond pas, ils ajustent leur approche et formulent une nouvelle hypothèse. C’est un processus d’apprentissage itératif, où chaque tentative est une opportunité d’apprendre et de s’améliorer. Cela montre bien que l’hypothèse n’est pas une erreur. L’hypothèse est un outil pour avancer, pour explorer des chemins inédits. C’est une ouverture vers l’inconnu, qui permet de faire progresser l’élève dans son apprentissage.
Et l’erreur.
En revanche, l’erreur est tournée vers le passé.
Là où l’hypothèse se projette dans le futur, l’erreur se concentre sur ce qui a déjà été fait. Faire une erreur, c’est répéter une action qui a déjà échoué. C’est agir de manière similaire à une tentative précédente, tout en sachant que cette approche ne fonctionne pas. En ce sens, l’erreur est liée à la mémoire, à une relation avec le passé. L’erreur survient lorsqu’on refait consciemment ce qui a déjà été raté. Le but ultime dans la salle de classe est donc de l’éviter. Elle est une amélioration mais pas une progression. 
Cette distinction est essentielle pour comprendre la dynamique de l’apprentissage. Trop souvent, on entend dire : « Vous avez le droit de faire des erreurs ». Cette phrase, bien que souvent bien intentionnée, me dérange profondément. En fait je la déteste. Elle laisse entendre que l’erreur est une étape normale de l’apprentissage, alors qu’en réalité, c’est l’hypothèse qui en est la clé. En affirmant que les élèves ont “le droit de faire des erreurs”, on leur donne implicitement la permission de répéter des actions qu’ils savent déjà incorrectes, ce qui freine leur progression. Les élèves ne sont pas idiots ; ils savent très bien que s’ils font une erreur, ils auront une mauvaise note. 
Je préfère leur dire :
« Vous avez le droit de faire des hypothèses ».
En fait, par mon enseignement ils sont obligés de faire des hypothèses.
L’hypothèse permet de progresser, car elle pousse l’élève à anticiper, à réfléchir à l’avenir, et à tester ses idées. Même si l’hypothèse est incorrecte, elle n’est jamais une erreur. Elle est simplement une tentative qui n’a pas abouti, mais qui fournit des informations précieuses pour la suite du processus d’apprentissage. En d’autres termes, l’hypothèse est une invitation à l’action et à la réflexion critique, tandis que l’erreur est le signe qu’on n’a pas suffisamment appris de ses expériences passées.
Dans ma classe, je pousse mes élèves à toujours essayer par eux-mêmes avant que je n’intervienne. Pourquoi ? Parce que je veux qu’ils apprennent à faire des hypothèses. Je veux qu’ils se sentent libres de tester des solutions, même si celles-ci ne fonctionnent pas du premier coup. Ce qui importe, ce n’est pas d’avoir raison du premier coup, mais de développer une pensée critique, de se questionner et d’ajuster ses actions en fonction des résultats obtenus. C’est ainsi que l’on progresse, pas en évitant les erreurs, mais en apprenant à ne pas les répéter.
L’apprentissage est un processus fait d’essais, d’ajustements et de réajustements. Chaque hypothèse formulée est une opportunité d’apprendre quelque chose de nouveau, même si l’on se trompe. L’erreur, en revanche, ne survient que lorsqu’on cesse de réfléchir, lorsqu’on arrête de se poser des questions et qu’on refait mécaniquement ce qui ne fonctionne pas. Voilà pourquoi il est crucial selon moi de bien comprendre la différence entre ces deux notions.
Ainsi, l’hypothèse est la clé de l’apprentissage, car elle est tournée vers l’avenir et ouvre des portes vers de nouvelles connaissances. L’erreur, quant à elle, est tournée vers le passé et se produit lorsque l’on ne tire pas de leçons de ses actions. Si nous voulons progresser dans nos apprentissages, il est indispensable de cultiver la capacité à formuler des hypothèses, à tester nos idées et à ajuster nos actions, plutôt que de rester figé dans les erreurs du passé.