Il m’a fallu des années pour le comprendre, à 60 balais ! mais aujourd’hui, c’est une évidence : je suis bien plus heureux dans mon métier qu’auparavant. Ce changement ne vient ni d’un allègement du programme, ni d’une évolution institutionnelle. Il vient d’un basculement profond dans ma manière de concevoir l’enseignement. Un jour, j’ai décidé de faire confiance à l’agilité, au Toyota Production System (TPS), et au texte de loi de l’Éducation Nationale : le Socle commun.
J’ai commencé à transformer ma pédagogie, non pas en la rendant plus légère ou plus ludique, mais en la rendant plus souple, plus cohérente, et surtout plus humaine. J’ai cessé de chercher des recettes. J’ai appris à observer, à adapter, à construire des processus ajustables, des outils simples, des capteurs fins. Aujourd’hui, je comprends mieux les élèves. Je les perçois dans leur diversité. Je m’adapte, et ce n’est pas une fatigue, c’est une joie.
Avec les années d’expérience, je comprends mieux ce qu’est l’approche systémique et la complexité qui structure ce métier. 
Je ne prépare plus mes cours comme avant. Je n’ai plus besoin de tout prévoir, car mon système est vivant. Je l’ajuste à mesure. Je suis devenu véritablement un artisan. Et c’est ce que je voulais. 
Une chose maintenant, primordiale : Je ne passe plus du tout de temps à corriger chez moi. Corriger loin des élèves est une aberration. Les évaluations se font directement en classe, au plus près des élèves. C’est ce qu’on appelle le Gemba. Dans le Toyota Production System, Gemba signifie littéralement « le vrai lieu ». C’est là où les choses se passent réellement, là où la valeur est produite. Pour moi, le Gemba, ce n’est pas seulement la salle de classe. C’est surtout le JourdEx, le journal d’expériences de chaque élève. Le lieu de travail de l’élève et du pédagogue que je suis. C’est la page sur laquelle l’élève est en train d’écrire. C’est aussi les mots lorsqu’il est en train de parler au sein d’un petit groupe.
Ainsi, le jourdEx, Ce cahier personnel, structuré et vivant, est un prolongement de l’espace de travail. C’est là que les élèves notent, expérimentent, consignent leurs parcours d’apprentissage. C’est leur outil, mais c’est aussi le mien : un espace concret pour accompagner, observer, évaluer, et comprendre. Je ne suis plus assis derrière mon bureau, je déambule. Il n’y a plus jamais de routine chaque semaine et chaque jour.
Ne plus devoir corriger en dehors de la salle de classe, ça a été un long travail à la fois technique et psychologique. Mais enfin j’y suis arrivé. De toute façon il devenait insupportable pour moi de voir que les corrections que je faisais à la maison, n’avaient aucune incidence sur les progrès des élèves en classe. Maintenant tout a changé.
Dans ce Gemba élargi, j’observe les erreurs, j’ajuste en direct, j’accompagne pendant que les élèves sont en train de faire. En évaluant au moment même de l’activité, je peux intervenir tout de suite, guider, corriger, encourager. Ce n’est plus une évaluation déconnectée, mais un suivi vivant, situé, juste. C’est là que le travail a du sens. C’est là que la pédagogie devient réelle, vivante, incarnée.
C’est ainsi que je parviens à créer des véritables parcours d’apprentissage, c’est-à-dire pour chaque élève son curriculum.
L’idée maintenant est d’accompagner les élèves vers plus d’estime et de confiance en soi. C’est la raison pour laquelle j’utilise si souvent mes cartes EdUCARYOTE.

Grâce à l’agilité, je touche enfin la majorité des élèves. Pas seulement ceux qui réussissent vite. Pas seulement ceux qui « suivent bien ». Je les touche tous, chacun à leur rythme, chacun dans leur logique, chacun dans leur parcours. Je suis sorti de la course à l’uniformité.
Il y a les élèves qui veulent absolument passer le brevet. Et il y a les autres qui ne veulent pas progresser pour avoir le brevet. Je les respecte les uns et les autres. Je ne suis jamais dans le triangle dramatique, ou triangle de Karpman, je ne suis le sauveur de personne : ni des élèves, ni de l’établissement dans lequel je travaille, ni du système éducatif. Je reste totalement concentré dans ma salle de classe, dans le Gamba. 
C’est la raison pour laquelle pour moi, maintenant, mon métier a vraiment du sens. 
Et j’ai découvert un autre mot que je n’osais plus prononcer : ma mission. Oui, je le sens profondément aujourd’hui : je suis pédagogue. Ce n’est pas un rôle vague ou un mot ancien. C’est une réalité exigeante et précieuse. J’ai appris à la nommer, à la construire, et aujourd’hui, àla défendre.
Alors non, je ne travaille pas moins en 2025. Mais je travaille mieux. Je suis plus libre. Plus aligné. Et surtout, plus heureux dans ma salle de classe.
Cette approche agile a quelques points communs avec l’enseignement flexible que je développe à l’université Bourgogne Europe avec des élèves plus âgés. Le principal point commun est de permettre à chaque élève de progresser à son propre rythme, en restant dans sa zone proximale de développement, avec droit à l’erreur, y compris lors des évaluations (avec un principe proche des ceintures de la pédagogie Freinet).
L’enseignement traditionnel est contraint par des règles qui évoquent celles des pièces de théâtre classique, c’est-à-dire l’unité de lieu, l’unité de temps et l’unité d’action : les élèves font la même chose, au même endroit, en même temps. Il semble que vous vous affranchissez de l’unité d’action en permettant à chaque personne apprenante de progresser à son propre rythme.
Je vais beaucoup plus loin en affranchissant aussi mes élèves de l’unité de lieu et de l’unité de temps. Ils peuvent apprendre où ils le souhaitent, quand ils le souhaitent, grâce à des ressources d’auto-apprentissage, tout en bénéficiant d’un suivi individuel. Les activités en présence sont facultatives, et les élèves peuvent arriver dans la salle d’enseignement et repartir quand ils le souhaitent. C’est une sorte d’open bar de l’apprentissage, à l’opposé des évidences convenues de l’enseignement traditionnel, et avec d’excellents résultats.
Si vous êtes intéressé, j’ai écrit pas mal de choses sur ces expérimentations, mais les URL (en général) passent mal dans les commentaires de blog 🙂.
Je ne peux pas aller plus loin car une des contraintes est de rester le plus proche possible de ce qui s’est fait dans mon établissement. Le but est de ne pas perdre les élèves ni les déstabiliser outre mesure.
Cette contrainte est indispensable. Elle fait justement partie de ce qu’est l’agilité et le lean.
Dans un autre contexte, je ferai ou totalement ou légèrement différemment.
Je suis bien sûr intéressé par votre pratique.
Oui, le contexte dans lequel je travaille est très différent, et ce sont mes collègues qui sont déstabilisés par mes pratiques, pas mes élèves.
Même à l’université, il est difficile de rompre avec la perception idéalisée de la salle d’enseignement vue comme un sanctuaire de l’apprentissage. Pourtant, ce lieu est de plus en plus déserté par les étudiantes et étudiants qui ont passé une grande partie de leur vie enfermés dans des établissements scolaires. Parfois, cette désertion coïncide avec un abandon du travail d’apprentissage, mais et parfois, c’est l’inverse. Il y a des gens qui sont très efficaces et autonomes hors des locaux dédiés à l’enseignement.
Sur les 10000 heures passées en classe jusqu’au baccalauréat, j’estime que 7000 m’ont été inutiles et ont contribué à une forme de phobie scolaire. J’aurais tant aimé les passer ailleurs ! C’est hors des salles de classe que mon envie d’apprendre a toujours été la plus forte, et que j’ai appris l’essentiel de ce que j’enseigne aujourd’hui.
Je suis extrêmement séduit par le modèle pédagogique de l’école allemande sans classe décrite par le podcast assez facile à trouver en ligne avec une recherche basée sur [« une école sans classe ? » spotify] (en conservant les guillemets, mais pas les crochets).
Quant à ce que je fais, c’est accessible à l’url bailleux point craft point me slash flex2024
Je ne le diffuse pas comme modèle et encore moins comme recette, mais pour promouvoir certaines valeurs et inciter les gens à innover.