On me demande parfois « mais qu’est-ce que la pédagogie agile ?».
Parce que j’ai du mal à répondre par des explications courtes et simples, j’ai souvent eu du mal à me faire comprendre. Spontanément et emporté par un sentiment passionné, je parle du Manifeste Agile, des développeurs, de l’apprentissage, de l’art de la pédagogie en tant que compétence douce primordiale (ou soft skill), de l’influence de l’école de Palo Alto, du constructivisme, de la thermodynamique, du lean, du biomimétisme etc…
Il faut tout de même avouer que, d’une manière générale et constante, les gens – la société ?- se désintéressent totalement de la pédagogie. Il n’est pas si courant qu’un enseignant parle de sa pédagogie, explique ses stratégies, ses méthodes, sa philosophie, ses influences, ou ses outils. La pédagogie, c’est pour les enfants, et ce n’est pas si sérieux. De plus, la très grande majorité des personnes sont plus plutôt gênées lorsqu’elle rencontre un enseignant. Les enseignants ne sont que très rarement invités par les journalistes pour parler d’enseignement, de pédagogie, ou d’éducation. On laisse plutôt s’exprimer des spécialistes de l’éducation, des personnes qui n’enseignent pas ou qui avaient enseigné il y a longtemps, ou encore, cas de figure plus fréquent, qui n’ont tout simplement jamais enseigné. Dans la hiérarchie de la considération, je ne pense pas me tromper si je place les professeurs de collège, ceux qu’on appelle « prof », dans le bas de la pyramide, c’est-à-dire en zone sombre. En haut de la hiérarchie, en zone claire, se trouvent les professeurs des grandes écoles et des universités. Puis les professeurs de lycée d’enseignement général. Les professeurs des écoles viennent après ; on tend encore à les appeler affectueusement « les instits ». Enfin au coude à coude, on trouve donc au bas de l’escabeau les profs de collège et les profs de lycée professionnel. D’où, sans doute, ce désintérêt coutumier pour ces profs de collège avec la fameuse question « c’est pas trop dur le collège ? » ou l’éternel commentaire « mais vous avez les vacances ».
Je précise que ce manque de considération pour la pédagogie face à un groupe d’enfants date tout de même de l’antiquité.
Je suis professeur de français, j’enseigne la littérature et la grammaire. Voilà un début de réponse que je choisis maintenant, sans doute plus adapté à « qu’est-ce que la pédagogie agile » ?
J’ajoute immédiatement que la pédagogie agile me permet de mettre scrupuleusement en place le programme officiel de français – l’approche descendante ou top-down – associé au socle commun de connaissances, de compétences et de culture – l’approche ascendante ou bottom up.
Au vu du regard et du silence de mon interlocuteur, je me dis qu’il ne voit pas le problème parce qu’il doit à ce moment-là se remémorer ses souvenirs de collégien-ne, avec l’image de ses anciens profs, la salle de cours en ordre serré, les interros, les bons élèves, les chahuts, les récrés, etc. Profitant de ce silence, je précise alors que créer une association entre ces deux processus est une nouveauté, une innovation majeure datant de 02008, non seulement dans l’Education Nationale mais également en Europe. Je termine mon propos par l’explication de « l’agile », cette manière de procéder qui est externe au cadre de l’éducation, une philosophie qui n’est issue ni de l’industrie (ou presque), ni du milieu militaire, ni de la science, mais d’une poignée d’ingénieurs informatiques dont la matière première n’est ni de l’énergie ni de la matière mais un élément particulièrement impalpable et difficilement identifiable et définissable : l’information.
J’explique rapidement qu’après s’être réunis, ces ingénieurs ont décidé de baptiser leur courant de pensée par le terme « agile » à travers leur Manifeste Agile. Je conclue alors, parce qu’il faut bien être succinct dans ce genre de discussion anti-adhésive, que, à la fin du XXème siècle, ces quelques développeurs informaticiens avaient élaboré une manière d’être, à la fois efficace et valorisante, dans un milieu où règne la volatilité, l’incertitude, la complexité et l’ambiguïté. Je précise alors que c’est exactement comme dans une salle de cours de collège. D’où mon intérêt pour le Manifeste Agile, ses valeurs et ses principes.
À la fin de l’envoi, je touche. Fin du monologue.
Depuis j’ai aussi abandonné ce type de réponse.
Ma réponse actuelle, pour les parents de mes élèves, est celle-ci :

Ma pédagogie – dénommée Educaryote – adopte les valeurs du Manifeste Agile. Pour résumer ma démarche, je bâtis l’accueil des enfants avec 4 piliers provisoires.
Afin d’éviter toute ambiguité ou toute croyance, je précise que je suis incapable de faire progresser TOUS les élèves. Un élève ne peut progresser et s’améliorer que s’il le désire. Je veille en premier lieu à ne laisser personne à l’écart des apprentissages. Les quelques élèves décrocheurs présents dans mes cours ne sont pas de ma compétence mais de la compétence de l’établissement. C’est par une collaboration rigoureuse entre toutes les parties prenantes d’un établissement qu’il est sans doute possible d’aider ceux qui n’ont plus d’espoir.
Un système hybride

Dans la salle de cours, guider tous les élèves du niveau 7 au niveau 4, et utilisation d’un JourdEx, un Journal d’Expériences, facilitant une personnalisation de l’apprentissage. Il permet de mettre en place, par la pratique, une formation de l’organisation, de l’anticipation et de la responsabilisation pour la grande majorité des enfants. Ce JourdEx participe au développement de la créativité et de la confiance en soi. Il se base sur l’utilisation de différents langages : phrases, graphisme, images. Dans la salle de cours, ma présence et celle des enfants est nécessaire pour supporter – dans le sens d’encourager – tous les élèves qui sont incapables de fournir des apprentissages seuls chez eux.
À la maison, faciliter les enfants du niveau 4 au niveau 1 et utilisation d’outils numériques, pour ceux qui en sont capables. Le site du collège pour consulter le cahier de textes, les messages. Un padlet pour retrouver des documents, des vidéos du professeur, les dictées à l’oral. Un Quizlet pour s’entrainer à apprendre par coeur. Un QuiZinière pour les QCM. Slack pour faire l’expérience de la coopération, de l’aide ou de l’assistance.
Choisir ses niveaux

La pédagogie est un processus particulièrement complexe demandant des compétences de très haut niveau. Afin d’aider le pédagogue à trouver le niveau de communication adapté à son interlocuteur, j’ai mis en place une grille d’autonomie après avoir observé les enfants au fil des années.
Le but est d’apprendre à chaque enfant à s’auto-évaluer sur cette grille pour qu’il puisse trouver une forme d’espoir dans l’amélioration de ses apprentissages. En d’autres termes, lui donner une carte pour construire le territoire cohérent de ses apprentissages et de ses expériences possibles.
Individu et groupe

Selon la théorie des types logiques, « ce qui comprend tous les membres d’une collection ne peut être membre de la collection » (Cf Changements, Paul Watzlawick). C’est la raison pour laquelle je ne confonds pas le groupe et les individus qui composent ce groupe. Surtout, je n’enseigne jamais à un groupe. J’enseigne très clairement à chaque enfant. Je pose des cadres dans le système groupe afin de permettre à chaque enfant de cheminer indépendamment des autres.
Dans un premier temps, tout est mis en place pour que chaque élève traque ses propres erreurs commises pendant les expérimentations. Il apprend à les repérer, à éliminer celles qui se répètent, à éviter de les refaire par automatisme.
Dans une second temps, il construit ses apprentissages, organise ses connaissances, tente d’anticiper les questionnements.
Puisqu’aucun individu ne peut apprendre seul, spontanément, ou par magie en entendant mes seules explications, les élèves sont regroupés en petits groupes. Ils apprennent à aider ou à accompagner ceux qui errent en niveau 7, 6 ou 5 de l’échelle d’autonomie. Ils apprennent à accepter d’être aidés parce que souvent la honte de ne pas savoir les pousse à être rétifs. Ils apprennent ainsi à coopérer avec respect, c’est-à-dire, grâce aux autres, pour augmenter leurs propres capacités, leurs propres compétences et leurs connaissances tout en protégeant leur apprentissage.
Évaluation et notation

Je fais une distinction entre la notation et l’évaluation.
La notation est du domaine de l’établissement. Elle est indispensable pour trier les élèves à la sortie du collège afin de les orienter vers le lycée professionnel ou général, un cap ou un apprentissage. Il est primordial que les différents établissements reçoivent des enfants adaptés à leurs formations. La notation, avec sa fameuse moyenne, est l’information partagée et comprise par tous, immédiatement, partout en France. La fourchette de 0 à 20 (voir plus si on choisit de noter avec des décimales : 12,76 par exemple) permet de classer un grand nombre d’individus. On peut ainsi savoir qui est apte à aller dans cette direction et qui est apte à prendre ce chemin afin de réussir le futur parcours.
L’évaluation, elle, est du domaine de la salle d’apprentissage. Elle permet de fournir à chaque élève un niveau de départ lors d’une expérimentation, puis de lui donner les indications précises pour qu’il puisse passer au niveau supérieur au moment où il recommencera son expérimentation. Il peut évaluer ses erreurs, et comprendre ce qu’il doit encore apprendre pour s’améliorer.
Afin de suivre les recommandations de l’inspection générale de l’éducation nationale, j’ai décidé de ne plus noter les élèves. Abandon partiel des chiffres de 0 à 20. J’attribue à leurs expérimentations une valeur sur 4 niveaux : A, B, C et D.
J’ai très souvent vu dans l’éducation la création de processus ou des fonctionnements opposés à ce qui se faisait jusqu’alors. Puisque tel processus ne donnait pas de résultats probants, alors on faisait l’opposé ou l’inverse. Puis au bout d’un moment, puisque les résultats n’étaient toujours pas probants, alors on se décidait à faire à nouveau l’opposé ou l’inverse.
Dans son livre Changements, Paul Watzlawick montre que, grâce à la théorie des groupes, dans un système, « pour chaque élément existe un autre élément symétrique ou inverse, tel que la composition d’un élément et de son symétrique donne l’élément neutre ». « L’élément neutre représente un cas spécial de l’invariance d’un groupe ». En d’autre terme, faire l’inverse de se qui est fait habituellement, c’est faire en définitive la même chose, puisqu’on n’apporte aucun changement véritable au comportement des éléments du système.
Pour Paul Watzlawick et le courant de pensée de l’école de Palo Alto, on se trompe lorsqu’on croit que les choses changent puisqu’on ne fait pas « comme avant ». En fait, le système maintient son équilibre interne par le processus d’homéostasie. Non seulement, en ajoutant de l’inverse, on ne change pas les comportements et les résultats dans le système, mais on accroit les problèmes.
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Prochain article : la case fantôme.