Dans le programme officiel, et dans le socle du cycle 4, le premier apprentissage à développer est l’expression orale. Il est primordial que les enfants aient l’expérience de la communication et que cette communication se fasse entre eux.
Les éléments de base pour la communication sont :
– savoir parler
– savoir écouter
– savoir observer

En 02008, au moment de l’entrée en vigueur du socle commun, dans ma salle de cours, les élèves étaient placés en « ordre serré ». C’est de cette manière que les militaires se positionnent lors des déplacements, en rang les uns derrière les autres. L’ordre serré est utilisé au garde-à-vous pour recevoir des ordres ou dans le cadre d’une cérémonie. Tout le monde est aligné, rien ne dépasse ; on forme une unité pour impressionner l’ennemi.
Dans une salle de cours, en ordre serré, les élèves, en rangs, deux par deux, regardent tous dans la direction, vers le tableau et le professeur. Les enfants sont les uns derrière les autres, certains au premier rang et d’autres, au fond, échappent le plus souvent au regard de l’enseignant.
À l’école, au collège, au lycée et à l’université, j’ai été élève dans ce type de configuration. Puis, en tant qu’enseignant, j’ai fait comme mes collègues dans tous les établissements dans lesquels j’ai enseigné : les élèves en ordre serré. Cette disposition dans les salles de cours provient de l’influence de l’armée prussienne au XIXème siècle, après 1871, lorsque la France copia en partie le modèle prussien.
Dans ces conditions, l’enseignant choisit la place de chaque élève. Il les empêche de se déplacer, ou de parler spontanément. Il ne permet pas non plus qu’ils communiquent entre eux pour coopérer. En somme c’est la pire éducation qu’on puisse donner à des enfants.
A la rentrée 02010, afin de mettre en place le socle commun, j’ai décidé de modifier l’ordre serré de ma salle de cours, cette attitude militaire n’ayant plus de sens ni avec ma pédagogie ni avec le socle.
LES TABLES EN CERCLE

J’ai placé les tables en cercle. Je dis « en cercle » mais en regardant l’espace il s’agit bien d’un carré, je sais, je continuerai de dire « en cercle » malgré tout.
Les enfant sont ainsi tous au premier rang, et peuvent communiquer entre eux sans que personne ne tourne le dos aux autres. Tout le monde peut parler, répondre et donc communiquer. Je ne suis plus le seul récepteur de leurs propos, ni le seul émetteur. Je ne suis plus le point d’intérêt de la communication.
À partir de cette disposition permanente, je peux modifier l’espace de trois manières, en fonction des objectifs visés et de la maturité des enfants : Le chaos, les 6 groupes, la méthode Harkness.
LE CHAOS

Lorsqu’il est nécessaire que les enfants expérimentent seuls, isolés de leurs voisins, je leur demande de se placer où ils le souhaitent. Ils envahissent alors les espaces vides de la salle en se plaçant dans le sens qu’ils souhaitent. De cette manière, ils ne doivent pas être capable de lire la production de leurs voisins. Ce déplacement de tables ne dure que quelques secondes et je dois avouer que c’est agréable de voir un tel résultat désordonné.
LES 6 GROUPES

À partir du cercle, les élèves peuvent être très rapidement placés en groupes. Je divise le groupe de 24 à 27 élèves ou apprenants en 6 petits groupes de 4 ou 5 enfants.
Je n’ai donc plus sous les yeux un grand groupe, mais 6 petits groupes. Les enfants qui n’osent jamais parler peuvent alors s’exprimer sans peur du regard des autres, de la masse du grand groupe.
Les débats, les aides et la coopération sont alors plus naturels. Chaque enfant découvre la saveur d’une autonomie haute.
C’est à ce moment-là que chaque groupe utilise un kanban, un tableau, des fiches de suivi et des fiches d’auto-évaluation.
Je navigue de groupe en groupe en écoutant leur propos, en intervenant ici ou là, en aidant un élève en particulier. J’aide ou accompagne chaque groupe dans l’apprentissage du débat, de la discussion, de la prise de parole et de l’écoute.
LA MÉTHODE HARKNESS ou LA DISCUSSION AGILE

Apprendre à parler, à écouter et à observer nécessite un groupe de taille moyenne. La méthode Harkness propose de créer un groupe de 12 personnes. Jamais plus. Les collégiens ou lycéens de la Phillips Exeter Academy, lieu d’origine de cette méthode, sont assis autour d’une table en bois. N’ayant pas de table aussi belle, ici nous déplaçons nos propres tables pour former deux groupes.
Pendant une partie du cours, ou pendant toute l’heure de cours, je vais accompagner un groupe de 12 enfants en littérature. Dans cette disposition, ce sont les enfants qui mènent la discussion à propos d’un texte littéraire. Ils échangent leurs impressions, leurs sentiments, leurs avis, apprenant à comprendre les avis contraires aux leurs.
Pendant que j’écoute, j’observe et j’aide les enfants du premier groupe, je laisse les enfants du second groupe résoudre en autonomie des problèmes de grammaire. Ils ont appris à être un peu responsables, en partie grâce à la grille d’autonomie.
Je ferai plus tard un billet détaillé pour expliquer comment se déroule la méthode Harkness, et pour quelles raisons je l’utilise pour renforcer la pédagogie agile.
EN CONCLUSION
Dans la salle de cours, nous déplaçons souvent les tables. Nous avons l’impression alors de ne jamais faire la même chose, que chaque expérience d’apprentissage est unique, éloignant, pour la plupart des enfants, la routine et l’ennui de plus en plus loin des murs de la salle de cours.
J’ajoute une remarque importante. Au fil des années, je me suis rendu compte que placer les élèves en groupes est intéressant. Cependant je dois reconnaitre que la seule disposition en groupes ne permet pas de faire progresser chaque enfant. La plupart d’entre eux attendent de l’aide, niveau 5 de l’échelle d’autonomie et ne progressent pas vraiment pendant les dix mois d’apprentissage. Au fil des mois, ils se laissent porter par ceux qui les aident. Ils s’habituent à être aidés, sans découvrir la possibilité d’apprentissage coopératif. En effet, tous les élèves ne disposent pas d’un moyen ou d’un outil leur permettant d’apprendre à s’organiser, à voir leurs progrès, à anticiper, à se prendre en charge, et à oser prendre des risques.
C’est certes joli à voir les petits groupes qui discutent sur un sujet, on dirait que soudain il se passe quelque chose lorsque les enfants échangent, écrivent sur les tableaux, utilisent le kanban… mais ce n’est que la moitié du parcours pédagogique. Le programme officiel demande d’aller bien au-delà. Il demande que chaque enfant puisse progresser à son rythme, augmenter ses propres capacités et ses compétences. Pas d’être aidé pendant 10 mois, en restant au niveau 6 ou 5 de l’échelle d’autonomie.
C’est la raison pour laquelle, après plusieurs années d’observations des élèves en groupes, j’ai ajouté un outil particulier à chaque enfant. J’ai conservé les différents groupes et les déplacements de tables qui permettent de créer de nombreuses interactions. J’ai transformé le « cahier » traditionnel du cours de français. Il faut bien reconnaître que ce cahier n’a rien de personnel pour les élèves. Il s’agit du cahier du professeur : ses mots, ses phrases, son plan, son organisation.
À la place de ce cahier impersonnel, j’ai créé un JourdEx, c’est-à-dire un Journal d’Expériences. Avec ce JourdEx, chaque enfant peut progresser à son rythme sur tous les niveaux d’autonomie. C’est avec cet outil qu’ils peuvent se prendre en charge, sans forcément attendre systématiquement l’aide de leurs pairs.
Un constat : sans le JourdEx, je ne pourrais plus enseigner.