Je suis un exemple de l’aboutissement d’une cellule composée d’un noyau protégeant une information, un code génétique. Un eucaryote. Je ne suis cependant pas totalement étranger aux procaryotes. En effet, ma cellule, pour vivre et perdurer dans les antiques environnements nocifs en raison de la profusion de dioxygène, contient des mitochondries, organites possédant leur propre ADN non contenu dans un noyau.

J’ai 3,5 milliards d’années, environ.

J’évolue au gré des changements climatiques et environnementaux de cette petite planète. J’ai même réussi, par ma ténacité, à survivre à la crise Permien-Trias, période pendant laquelle toute vie a failli disparaître sur Terre.

Je suis tout autant un métazoaire comme l’éponge, qu’un bilatérien comme l’ensemble des arthropodes. Je suis un crâniate possédant un os sphénoïde, un sarcoptérygien pour mes bras, un tétrapode parce que je peux pratiquer la bipédie, un mammifère, un primate, et un catarhinien. Je suis tout autant un simple deutérostomien évolué au fil des siècles. J’aurais pu, aujourd’hui, être de l’ail, un pommier, un oursin, ou encore une diatomée. J’aurais pu être tout autant un tardigrade et découvrir la saveur de l’immortalité.

Tardigrade Tardigrade

Parmi les millions d’espèces vivantes sur ce bout de caillou, je suis ainsi devenu, par le plus grand des hasards, un homo sapiens, issu de la branche des hominidés. Il y a 3,5 milliards d’années, le but des premiers éléments de vie sur Terre n’était pas de devenir homo sapiens. Le but est de transmettre une information. Je suis le fruit d’une évolution hasardeuse et chaotique, évolution d’associations d’hydrogène, de carbone, de fer, d’azote, de calcium débutées dans les étoiles, usines d’éléments primordiaux.

« Dans cette théorie de l’évolution, l’intentionnalité apparente du « modèle » des espèces survivantes est créée non par une force vitale qui les exalte continuellement vers des niveaux plus élevés, mais par un processus d’effacement au cours duquel survivent seules les formes qui sont normalement en équilibre avec leur milieu« , écrit Norbert Wiener dans  Cybernétique et Société.

Homo sapiens donc. Une espèce vivante toute récente. Depuis 150 000 ans environ, j’ai développé un imaginaire grâce à une perception particulière du monde qui m’entoure. Je peux ainsi écrire ce raccourci : parce que je ne suis que l’évolution des gènes dans une évolution complexe, parce que je ne suis que la simple copie, de génération en génération, de chromosomes, je suis maintenant un eucaryote sapiens. Je suis autant plancton que primate. Je suis l’instrument d’une information génétique qui se reproduit, « un artifice inventé par les gènes pour se reproduire« , dit Pierre-Henri Gouyon. Un instrument parmi des milliards. Je me dis alors que c’est un peu de moi que je détruis lorsque j’extermine le plancton invisible, par voie de conséquence.

Plancton, par Christian Sardet Plancton, par Christian Sardet

Aujourd’hui, j’enseigne le français. La littérature et la grammaire. L’imaginaire et les règles. Au collège.

Le collège est un paradoxe. Il est soit un passage, soit un aboutissement, soit une impasse ou un tremplin. Il est en même temps ouvert sur le monde et replié sur lui-même. Le cours de français est tout autant un paradoxe. Il est une langue, une réflexion sur la langue elle-même. Il s’agit aussi pour moi de former des individus à l’imaginaire et à la création. Une création composée de mots. Il peut être un cours replié sur lui-même, enfermé dans ses contradictions et ses particularités, et, en même temps, ouvert sur les autres cours qu’il nourrit et grâce auxquels il se développe. C’est sans doute la raison pour laquelle, nous sommes très souvent, au coeur d’une salle de classe, dans un contexte de double contrainte : être obligé d’être libre.

J’aide, dans cet écosystème, par différentes approches opposées et complémentaires, des individus à percevoir la quintessence des textes en fonction de leur sensibilité ; à découvrir, comprendre et retenir les lois, les règles et les particularités qui régissent ces textes ; à résoudre leur propres problèmes face à l’expression de leurs émotions, de leurs sentiments et de leur imagination ; à prendre des décisions par l’écriture en acceptant les potentiels risques des critiques ; à prendre conscience, enfin, de leurs caractéristiques d’élève, d’individu, d’homo sapiens… à travers la créativité. Et la rigueur, les conflits, les erreurs, les partages, les attentes… et faire des liens avec les galaxies, les protistes, l’ADN, les fractales, les diagrammes de Voronoï, les synapses ou les diatomées.

Diatomées Diatomées

Je ne sais comment parvenir à un réel équilibre. Je m’adapte grâce à la cybernétique, l’art de piloter un navire. Je ne sais pas plus maîtriser le caractère aléatoire, ni l’incertitude de l’enseignement. Je sais seulement que le déséquilibre, l’aléatoire et l’incertitude sont mon quotidien. Je me dis : Il faut penser à rester agile. Et j’aime ce quotidien en mouvement. Depuis 3, 5 milliards d’années. Par conséquent, j’apprends. Une posture d’acteur passif. Chaque seconde, chaque heure de cours. Je lis, je parcours internet, Twitter, j’achète des livres (dit-on toujours des livres lorsqu’ils sont impalpables ?) sur mon iPad, ou toujours des livres avec du vrai papier. Je suis condamné à apprendre, toujours davantage. En effet, je me dis que tous les vendredis soirs, tous mes élèves en savent plus que moi après avoir travaillé en mathématiques, histoire, sciences, langues… et je dois faire mieux que chacun d’eux.

Je me dois donc de rester informé, déformé, transformé.

Une dernière remarque. Je sais que donner une information à un individu va l’influencer dans son avenir. Mais je sais également que ne pas donner une information à ce même individu va l’influencer de manière plus forte encore dans son avenir. De la variété d’informations que je propose, les apprenants, les élèves, sélectionnent celles dont ils ont besoin, et les transmettront à leur tour, plus tard.

Ou, pour certains, peut-être jamais.

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