Permettre aux élèves d’exprimer leur créativité est un des buts de la formation au collège. Il s’agit bien plus de les accompagner dans leur développement cognitif que de les contraindre à obéir et à exécuter. Dans toutes les disciplines. Quelque soit le niveau ou les possibilités de chaque élève. Donc ne jamais s’éloigner du travail exigeant entrepris en cycle 1, maternelle.

La créativité apparait dans le dernier niveau de la taxonomie de Bloom révisée par Lorin Anderson. Cette même créativité est défendue par Ken Robinson. Créativité implicite également inscrite dans les valeurs de l’Agilité et dans le travail précis et intuitif des analystes-programmeurs.

La création : c’est en quelque sorte la compétence ultime, celle qui englobe l’ensemble des disciplines, celle qui libère l’élève du poids inhumain de la discipline. Inhumain dans le sens où il est impossible de penser, d’agir en étant unidisciplinaire. En effet, le cadre fermé d’une discipline ne permet ni de penser, ni d’agir, ni de créer. Comme un système ouvert, seul le cadre ouvert d’une discipline accompagne, éclaire, justifie les autres disciplines. Les cours de Littérature-Grammaire accompagnent, éclairent, justifient les autres disciplines : les sciences, l’EPS, les arts, la géographie, la technologie, les langues, de la même manière que ces disciplines accompagnent, éclairent, justifient les cours de Littérature-Grammaire.

« La créativité dépend de facteurs cognitifs, conatifs, émotionnels et environnementaux. Chaque personne présente un profil particulier sur ces différents facteurs. Les potentiels de créativité d’un individu dans divers champs d’activité résultent de la combinaison interactive des différents facteurs mis en rapport avec les caractéristiques nécessaires pour un travail créatif dans chaque champ d’activité » écrit Todd Lubart dans Psychologie de la créativité.

En cours de Français, traditionnellement, l’enseignant donne un sujet unique aux élèves, accompagné de critères précis, obligatoires, non négociables. Et tant pis si les élèves montrent à ce moment-là d’autres savoirs ou d’autres compétences. Puis à l’aide de ces travaux écrits, il fait un classement entre celui qui a le plus approché ces critères et celui qui n’a rien réussi en fonction des intitulés du Programme. Or les objectifs ne sont pas un Programme et le Programme n’est pas un programme. Le Programme est une vision partagée. Une vision « est d’abord la réponse à la question « Que voulons-nous créer ? ». Au fond d’eux-mêmes les individus possèdent une image qui est leur vision personnelle. Les visions partagées en sont l’équivalent pour l’ensemble d’une organisation. Elles sont la base d’un sens de la communauté qui est présent à travers toute l’organisation et donne une cohérence à l’ensemble des activités« , écrit Peter Senge dans La Cinquième DisciplineEt une vision ne remplace pas les objectifs à atteindre inscrits dans un programme.

Cette année, j’expérimente une manière de procéder pour :

– permettre aux élève de raconter leur propre histoire.

– les accompagner à améliorer leur expression écrite.

– leur apprendre à relier des éléments séparés.

Un de mes buts, à long terme, est de parvenir, dans un esprit Agile, à créer l’année prochaine des sujets proches des Users-Stories.

Pour cette année, je teste et récolte les données (PédagogieData) sur :

– la notion de choix (les sujets à éviter),

– les difficultés et les réussites des élèves,

– la dextérité à associer des éléments séparés,

– les améliorations réalisées pendant l’année.

LE PROJET

Début septembre, j’ai donné ce document aux élèves de 5ème, 4ème et 3ème. Le même document pour toutes les classes. Il présente les sujets à traiter pendant toute l’année. Bien sûr d’autres travaux d’écriture seront également entrepris.

Sujets au choix Sujets au choix

Cette fiche comporte 4 ensembles, ou groupes.

– dans le groupe 1, les informations obligatoires. Elle font partie de l’apprentissage sur l’ensemble des années Ecole-Collège-Lycée dans toutes les disciplines.

– dans le groupe 2, les élèves peuvent choisir d’ajouter un dialogue et/ou une description physique et/ou la description d’un lieu.

– dans le groupe 3, les élèves ont le choix entre 15 sujets. Ils devront en raconter, en classe, 10 sur les 15. Un sujet par mois, soit un sujet toutes les 3 semaines environ, tel que le préconisent les programmes officiels. Ainsi, même pour le dernier sujet, ils auront encore la possibilité de choisir le sujet qu’ils souhaitent travailler. J’ai inventé ces sujets en à peine vingt minutes. Les premières images qui me venaient à l’esprit, sans chercher à établir un lien avec les programmes de Lettres ou d’Histoire.

– Dans le groupe 4, les élèves doivent montrer les émotions ou sentiments d’un des personnages de l’histoire choisie dans le groupe 3. C’est le travail le plus délicat en littérature : ne pas dire par exemple qu’un personnage est timide, mais montrer à l’aide du vocabulaire, des actions ou des paroles qu’il est timide.

La difficulté est donc d’associer dans un même texte les 4 groupes. C’est un travail complexe. Un problème qui devront apprendre à résoudre avec de plus en plus de dextérité cognitive et de plus en plus de plaisir.

Il n’y a pas d’autres consignes. Sauf un nombre de lignes minimum. L’objectif est, par exemple pour la fin de l’année en 3ème, d’écrire un texte en un minimum de 40 lignes ; je propose donc 20 lignes minimum pendant les 2 récits de la première période, puis 25 lignes pour la seconde période, puis 30 lignes, etc.

Pendant la première période, les élèves ont donc choisi et travaillé deux récits, en septembre puis en octobre. Ils ont préparé chacun des récits chez eux en fonction de leurs possibilités, désir, aide disponible. Préparer ne voulant pas dire « écrire » le texte, car le texte est écrit en classe. Préparer, c’est penser, rêver, associer, vagabonder pour être prêt le jour de l’écriture. C’est aussi apprendre à anticiper, à penser aux éventuelles difficultés, à faire le point sur les erreurs à éviter, à mettre en place un processus lié à la création. Le jour de la rédaction, ils peuvent utiliser une préparation (double molécule ou schéma du récit) écrite sur un post-it. Pas plus. Ils ne peuvent non plus utiliser un texte déjà écrit à la maison (par leur maman par exemple).

LES PREMIÈRES IMPRESSIONS

– Le second récit a été nettement amélioré et réussi par rapport au premier texte où des élèves n’avaient ni préparé, ni terminé leur texte dans les temps. C’est approcher une des valeurs de l’Agilité : l’adaptation au changement.

– Grâce au principe de choix, élément indispensable pour créer naturellement une motivation, tous les élèves se sont engagés à produire un texte personnel, authentique, riches en péripéties avec des idées diverses et variées. C’est approcher une des valeurs de l’Agilité : des créations opérationnelles.

– Dans le couloir avant d’écrire ou après l’épreuve, ils discutaient entre eux de manière animée sur leur sujet respectif. C’est approcher une valeur des valeurs de l’Agilité : les individus et leurs interactions.

– Pendant l’heure de travail, j’ai rarement vu autant d’élèves (en fait 100%) être aussi concentrés dans un travail d’écriture. Ils étaient dans un état très proche du flow.

– Chez moi, pendant la lecture de leurs travaux, j’ai enfin retrouvé le plaisir de la lecture et de la découverte, le plaisir d’écrire sur de très nombreuses copies « J’ai apprécié votre histoire »; « J’ai adoré la manière avec laquelle vous avez montré le courage de ce personnage »; « Vous avez du talent pour raconter des histoires émouvantes« … alors qu’en même temps la note technique pouvait être 6, 8 ou 14 sur 20. Avec l’écriture de cette histoire, nous avons pu créer un lien de connivence, un lien  entre un jeune écrivain balbutiant et un lecteur en quête d’aventures et de surprises. Evidemment, j’avais pour certains sujets une grille précise concernant le déroulement de l’histoire : ma propre grille, mes propres images, mon propre déroulement du récit. Bien sûr aucun élève n’a fait ce que j’avais pensé. Ils ont chacun raconté suivant leurs possibilités, leur sensibilité. Mon rôle est ainsi de les conduire vers l’amélioration de leurs capacités cognitives, émotionnelles, conatives. C’est approcher une des valeurs de l’Agilité : la collaboration formateur-apprenant.

– Parmi les 6 élèves d’ULIS présents cette année dans mes cours, 5 ont réussi, déjà, un travail d’écriture remarquable, dépassant même les attentes de leurs aides éducatrices. Je pense à ce jeune en 5ème qui n’avait jamais pu écrire une ligne en 6ème. Son premier récit de septembre faisait 20 lignes, sans aucune ponctuation. Il a écrit seul de sa propre main, sans aide. C’est un enfant qui sait très bien faire vivre ses personnages, possède beaucoup d’imagination et sait parfaitement structurer sa pensée. Nous lui avons mis 15/20.

A L’AVENIR

– Pour les deux sujets de la seconde période, le travail préparatoire se fera en classe et en petits groupes. Les élèves se raconteront oralement leur histoire, feront des dessins, des croquis, des cartes mentales, utiliseront la double molécule, chercheront des analogies, des comparaisons avec des films, des livres, des peintures, des anecdotes historiques ou scientifiques…

– Une fois qu’ils seront familiarisés avec ce travail, j’ajouterai des contraintes en cours d’année (par exemple ajouter l’indication « Pendant la première guerre mondiale » dans le sujet choisi par les élèves de 3ème)

– De manière itérative, en juin, les élèves devront refaire leur premier ou second sujet, celui qu’ils avaient choisi en septembre-octobre. Je comparerai les deux réalisations afin de percevoir si les cours sur le vocabulaire, les travaux d’améliorations, les itérations et les incrémentations ont porté leurs fruits.

– Il sera temps également de voir réellement les différences d’écriture entre les niveaux 5ème, 4ème 3ème, ou se rendre compte qu’il n’existe pas de sujets spécifiques pour tel ou tel niveau, ou enfin que des enfants de 12 ans en 5ème peuvent créer des récits avec plus de talent que tous les élèves d’une classe de 3ème.

– Repenser et améliorer les informations dans les sujets des groupes 3 et 4.

EN CONCLUSION

En cours de Lettres, cours appartenant au domaine de l’Art, il me semble ainsi de plus en plus incongru, absurde, anti-créatif, de vouloir tout contrôler, de demander à tous les élèves d’écrire le même texte, en même temps, à la même vitesse, suivant les mêmes critères afin de pouvoir les classer et de créer alors une sélection artificielle.

Donner le choix, c’est faire confiance aux capacités, stratégies et compétences des élèves afin qu’ils puissent goûter à la saveur umami de l’initiative et de l’autonomie pour développer leurs capacités cognitives en toute confiance.

***

le 15 juillet 2015 : Bilan et suite ici.

le 20 novembre 2014

Une des raisons de l’écriture sur ce blog était de partager avec quelques personnes mes tâtonnements. Partager excluant la comparaison mais permettant l’amélioration par co-construction. J’espérais donc recevoir par hasard ces mêmes tâtonnements sur les thèmes que j’aborde ici et là.  Ainsi, à ma demande, Marjorie Cohen (voir son commentaire ci-dessous) a eu la gentillesse de me faire parvenir son travail d’expression libre et accepte que je l’ajoute ici bien qu’elle ne veuille pas être associée à l’Agilité. A propos de son travail, « quelques précisions sur le cartouche à coller des élèves : la note est sur 15 pour se situer par rapport au brevet ; les chiffres qui apparaissent sous chaque item correspondent à une échelle de maîtrise simplifiée : j’entoure le niveau obtenu, ce qui permet aux élèves de voir quel point améliorer. Pour être sincère, je n’ai pas l’impression qu’ils regardent beaucoup l’échelle, ils utilisent plutôt mes annotations dans la copie. »

Fiche pour l’écriture de Marjorie Cohen : MC1

Le cartouche de Marjorie Cohen : MC2

15 commentaires sur « Vers la créativité : miser sur les compétences des élèves pour déborder du programme »

    1. Ce sont les 4 logos que j’ai utilisé dans le livret d’accompagnement : la lecture (littérature), la grammaire, le vocabulaire, l’écriture.
      L’expression écrite est la somme de ces 4 sous thèmes.

  1. C’est drôle, moi aussi, cette année, j’ai engagé des travaux d’écriture libre. J’en avais assez de passer deux heures à analyser un sujet en classe, pour lire ensuite 25 copies hors-sujet, à la calligraphie impossible ou à l’orthographe hermétique.

    La consigne est simple : un travail d’écriture libre par semaine, 50 lignes minimum obligatoire passés les congés de la Toussaint (classes de 3e). Autorisation de reprendre le même texte, semaine après semaine, pour l’améliorer. Droit à toute l’aide qui leur semble appropriée (y compris la mienne). Interdiction de plagier Internet.

    Enfin, je lis des copies intéressantes, parfois très personnelles ; enfin je vois des dialogues correctement ponctués, des descriptions et des portraits flamboyants, des aventures complètes ; enfin mes élèves réalisent quel point d’orthographe ils doivent revoir. Certes, c’est beaucoup de correction, et je passe un temps non négligeable à vérifier l’authenticité des textes. Mais quel bénéfice pour eux et pour moi !

    Je réalise, en lisant le document que tu as fourni à tes élèves, que certaines de mes exigences sont implicites pour les élèves qui ont le plus de difficultés. C’est pourquoi je te remercie de partager ton travail et ta réflexion.
    Je suivrai l’évolution de ce travail avec beaucoup d’intérêt ; j’espère que tu feras le bilan en juin !

    1. Oui pour le bilan en juin avec la PedagogieData (je prépare un billet sur ce thème).
      Je pourrais savoir quelle consigne exacte tu as donnée aux élèves, s’il te plait ?
      Est-ce que tu fais une distinction entre un commentaire positif, et une note technique ?

      1. La consigne exacte a été donnée à l’oral, et je me suis longuement expliquée avec eux. Les exigences sont les suivantes :
        – un travail d’écriture par semaine (sauf quand on en fait un sur table, tous les mois) ;
        – thème et forme libre (j’ai fourni un liste de propositions de sujet pour ceux qui auraient du mal à démarrer) ;
        – devoir manuscrit obligatoire (pour entraîner les mains… ici ils écrivent si peu qu’ils ont rapidement des crampes dans les mains, et je suis bien placée pour savoir combien c’est douloureux)
        – une présentation indispensable : une marge à droite et à gauche, on écrit en bleu foncé ou en noir, une ligne sur deux (au premier travail, plus de la moitié de la classe a dû réécrire son devoir) ;
        – pas de nombre de lignes imposé avant les congés de la Toussaint ; après les congés, 50 lignes minimum (ce sont des 3e) ;
        – aller chercher de l’aide quand on en a besoin, auprès de la personne ou de l’outil de son choix.

        Sur la liste des sujets proposés, les exigences formelles sont rappelées. J’ai classé mes propositions dans trois rubriques : « écrire autour d’une forme » (récit, poésie, théâtre, etc.) ; « écrire autour d’un thème » (le corps, l’argent, jouer, etc.) ; « écrire pour préparer le brevet » (sujets d’imagination et de réflexion)

        Massivement, les élèves ont investi le récit : historique, fantastique, réaliste, autobiographique, onirique, la palette est vraiment large. Certains ont opté pour la poésie (le calligramme surtout), croyant que ce serait plus simple ; d’autres se sont lancés dans la critique de film ou de jeu vidéo ; quelques autres ont attaqué le sujet de réflexion.

        Il reçoivent une note sur 15 (comme au brevet) : idées /5, construction / 5, langue /5 ; je fais coller sur les copies un cartouche qui leur permet de visualiser les points forts et les points faibles du devoir, et leurs progrès. Les commentaires sur la copie sont uniquement techniques (et tu as raison, je devrais songer à valoriser davantage les réussites). Quand je rends les copies, j’en sélectionne une qui est lue à la classe, et nous discutons ensemble de ce qui est réussi (et qu’on peut utiliser pour soi !).

        Ce sont mes exigences sur la construction du texte qui sont manifestement implicites.
        Navrée pour la longueur du message.

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