L’apprentissage est en premier lieu un processus, un mouvement, une évolution. Rien n’est figé, immuable et définitif. Les interdictions sont incompatibles avec les progrès émergents grâce aux compétences.
En début d’année, j’annonce aux élèves, toujours très surpris, que la salle dans laquelle ils se trouvent est une «salle-laboratoire» et que leur cahier est un «cahier-laboratoire» : ils vont émettre des hypothèses toute l’année, tâtonner, faire des erreurs et s’améliorer.
Je leur annonce qu’ils sont autorisés à travailler en groupe ou avec leurs voisins. Ils apprendront à travailler ainsi grâce au Kanban.
Je leur annonce encore qu’ils sont autorisés à se lever pour prendre et utiliser un dictionnaire ou un des nombreux manuels scolaires (de français, d’histoire-géographie, de biologie ou de physique) disponibles au centre de la classe.
Je leur annonce qu’ils sont autorisés à respecter les autres, qu’ils sont autorités à ne pas rire quand quelqu’un dit une erreur.
Je leur annonce également qu’ils peuvent discrètement et à tout moment manger un fruit ou boire de l’eau dès qu’ils en ressentent le besoin. Chaque année je constate que les élèves restent discrets et n’abusent jamais de cette autorisation.
Enfin, je leur annonce qu’ils peuvent, parfois, utiliser leur smartphone ou leur iPod ou bien leur tablette, non pas pour téléphoner mais dans une démarche d’apprentissage. Les élèves doivent seulement m’indiquer dans quel but ils veulent l’utiliser. Puisque l’établissement accepte que les élèves gardent sur eux leur smartphone, autant utiliser ces appareils photos.Je crois que j’apprécie particulièrement les listes d’autorisations explicites (à l’opposé des listes d’interdictions) car elles permettent au système classe-laboratoire, dont je fais partie, de s’auto-organiser. Ainsi, pendant mes cours, quelque soit la classe, je n’ai aucun débordement. Je n’exclus pas d’élèves, je ne mets pas d’heures de colle, je n’inflige pas de punitions ; les élèves travaillent dans le calme, le respect des règles, font se qu’ils peuvent pendant les expérimentations en fonction de leurs capacités cognitives.


Les compétences du socle commun ne sont pas hiérarchisées. Il est possible d’entrer dans le socle par n’importe quel «pilier» pour mettre en place un cours dans lequel les élèves s’accaparent un savoir, des connaissances. Cependant construire du sens dans l’apprentissage oblige à considérer les compétences Autonomie et Initiative comme prépondérantes.
Je ne suis pas convaincu par le bien fondé d’une unique structure behavioriste et hiérarchisée Professeur-Apprenant dans laquelle ce dernier est dans l’obligation d’écouter passivement l’enseignant puis de restituer de mémoire l’ensemble du savoir du professeur. Une telle structure ne peut permettre l’approche par compétences.
Avec l’approche par compétences nous sommes dans une structure que je pourrais qualifier d’Agile (management Agile) bâtie sur 4 valeurs :
– les individus et leurs interactions plus que les processus et leurs outils
– des créations opérationnelles plus que des connaissances exhaustives
– la collaboration apprenants-apprenants / médiateur-apprenants plus que la réduction de l’incertitude
– l’adaptation au changement plus que le suivi d’un plan.
Il me semble que les valeurs de l’Agilité permettent pleinement une approche constructiviste. Rendre l’élève acteur de son processus d’apprentissage, lui donner les clefs et l’opportunité de prendre des risques, c’est à dire :
– tâtonner dans un ensemble de flux et de processus
– coopérer avec ses pairs et échanger des informations
– produire et créer à sa manière sa propre vision du monde
– utiliser à bon escient n’importe quel outil pour conserver ses expériences

L’utilisation d’un smartphone en cours fait partie du processus d’apprentissage pour l’élève. C’est un élément parmi d’autres, un élément infime dans le panel de stratégies et de processus que je peux mettre en place. Je constate que les élèves possèdent leur smartphone tout le temps. Il l’utilise pour communiquer, pour lire des vidéos, des photographies, écouter de la musique, etc. Il peut également devenir un outil d’apprentissage au même titre qu’un cahier, un stylo, un manuel scolaire.

Pendant mes cours, j’autorise ainsi les élèves à :
– photographier le tableau pour recopier plus tard chez eux les quelques informations (schéma, liste, brainstorming, etc)
– filmer une démonstration faite en cours par un élève ou moi-même
– photographier un texte, un schéma, une carte mentale, etc., dans le cahier d’un autre élève, puis imprimer et coller ce nouveau document dans son propre cahier
– photographier une image (ou un extrait de texte) trouvée dans un manuel scolaire pour illustrer son cours
– utiliser un lecteur de QRcode pour suivre un lien (texte, photo, vidéo, etc) que je peux proposer sur une évaluation ou scotché à un mur de la salle de cours
Décalquer une carte de France avec la lumière de son smartphone
Je me dis que si Sugata Mitra parvient à créer un système d’auto-apprentissage socioconstructiviste en plaçant des ordinateurs en libre service dans une rue d’un bidonville de New Delhi en Inde, je pense que nous pouvons raisonnablement être capables d’utiliser un smartphone en classe de manière simple et efficace.

Le Rapport Faure intitulé Apprendre à être, et édité par l’UNESCO en 1972 indiquait déjà : « L’ordinateur permet à l’apprenant d’explorer à volonté des solutions possibles d’un problème, d’étudier les réactions d’un modèle représentatif en fonction des variables qu’il introduit, de cultiver ses facultés de décision. Il créé les conditions d’un dialogue entre l’élève et les systèmes » (page 143).
Ainsi, nous nous trouvons devant une mutation de l’acte éducatif : « mutation du processus d’apprentissage (learning) qui tend à prendre le pas sur le processus d’enseignement (teaching)« , ajoute le Rapport Faure.
Un rapide bilan : depuis le début de l’année, soit environ 4 heures de cours, trois élèves ont utilisé ainsi leur smartphone. Parmi eux, un jeune élève grec ne parlant pas et n’écrivant pas du tout le français, a photographié le tableau afin de recopier au calme chez lui l’ensemble des informations qu’il n’avait manifestement pas eu le temps de recopier. Ou encore cet autre élève qui a photographié dans le manuel scolaire l’extrait de texte littéraire à apprendre par coeur ; il pourra ainsi l’avoir tout le temps sur lui pour l’apprendre.
Prendre l’initiative d’utiliser à bon escient cet outil, prendre conscience qu’il peut faire partie du processus d’apprentissage semble responsabiliser davantage les élèves. C’est bien le but du collège, lieu d’éducation et d’instruction, sous la responsabilité d’un adulte, d’accompagner chaque enfant. En effet, un établissement scolaire n’est pas un sanctuaire en dehors d’une société.
Les compétences Sociale et Civique ainsi que les compétences Autonomie et Initiative lorsqu’elles sont le moteur du processus d’apprentissage, et non un simple ajout superficiel, pourraient permettre à l’apprenant de trouver un sens à son apprentissage.
Pour finir, je précise que les élèves n’ont pas le droit de téléphoner pendant les heures de cours comme le précise le Code de l’Education.
(A suivre : Utilisation de Slack, mai 2016)
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