( 14 juin 02021 : Mise à jour importante en fin de billet)

J’essaie d’améliorer mon enseignement dans un état d’esprit Agile à travers 4 valeurs. Je continue de m’éloigner de l’aspect profondément cartésien, tayloriste et militaire de la structure actuelle de l’enseignement dans une salle de classe.

De nombreuses méthodes ont permis de faire émerger les valeurs agiles en 02001. Parmi ces méthodes, je pourrais citer le cadre de développement de produit complexes Scrum de Ken Schwaber et Jeff Sutherland (01996), ou la méthode Extreme Programming de Kent Beck et Ron Jeffries (01999), ou encore la méthode Crystal Clear d’Alistair Cockburn (01997).

L’agilité, ce n’est donc pas une seule méthode, une seule manière de progresser dans l’apprentissage. C’est surtout, avant tout, un état d’esprit qui permet de naviguer dans la complexité à l’instar du Macroscope de Joël de Rosnay.

« Être agile » c’est pouvoir s’adapter dans un environnement que l’on connait parfaitement, son métier, mais qui change, fluctue, ou se métamorphose plus ou moins lentement. Il faut garder à l’esprit qu’un environnement, une planète, un territoire, un écosystème, un groupe d’individus, un individu, n’est (ne sont) jamais immuable(s), définitif(s), figé(s).

Depuis plusieurs mois je me demandais comment essayer d’intégrer Scrum dans mes cours, comment mettre en place une itération réglée au millimètre, même si dans une classe on ne produit rien. Pour vivre une expérience, le mieux est de se lancer, de se jeter à l’eau et d’observer les actions, réactions. Le premier principe de la permaculture, rédigé par David Holmgren est « observer et interagir« . Il stipule que « ce principe vise essentiellement à faciliter l’émergence d’un mode de pensée à long terme, indépendant voire hérétique, indispensable pour concevoir de nouvelles solutions, plutôt qu’à encourager l’adoption et la recopie de solutions éprouvées ». Il me semble ainsi primordiale de créer un environnement propice pour faire émerger de nouvelles informations, de nouvelles idées et de nouvelles connaissances.

Claude Aubry, spécialiste de Scrum, précise dans son livre que « Scrum aide les gens à améliorer leur façon de travailler ».

Je connaissais depuis deux ans l’existence du cadre eduScrum.

Eduscrum a été créé et écrit en décembre 02013 par des Agilistes Néerlandais : Arno Delhij et Rini van Solingen. La version 1.0 a été revue par Jeff Sutherland. Ce cadre Scrum pour l’éducation a été mis en place par des enseignants à l’Ashram College dans la petite ville de Alphen aan den Rijn : Jan van Rossum, Ellen Reehorst et Willy Wijnands. Par la suite Willy Wijnands s’est approprié le concept d’Eduscrum et il a éliminé toutes traces de ses anciens collègues. Il n’est donc pas du tout « le créateur et le fondateur d’Eduscrum » comme il le mentionne sur son site. Le texte originel d’Eduscrum traduit en français montre le point de départ de ce concept : guide_eduscrum_1.0_fr-1.pdf

Jan van Rossum et Ellen Reehorst ont continué d’utiliser le cadre Scrum sous l’appelation ScrumAtSchool. Il me semble important de prendre connaissance de leur site. Il est d’ailleurs intéressant de lire l’interview de Jan van Rossum par Ben Linders en 02014 pour comprendre l’intérêt de l’agilité dans l’enseignement.

In est donc important de signaler qu‘Eduscrum n’est donc pas la seule manière d’employer Scrum dans l’éducation.

Avant la mise en place dans ma salle de classe, je me posais des questions : Est-ce que j’allais être capable de mettre en place Scrum dans ma salle de classe, avec mes élèves Français ? Est-ce que les enfants Néerlandais sont culturellement prêts à utiliser Scrum? Est-ce que je n’allais pas perdre mes élèves, leur faire perdre leur temps ? Est-ce que j’allais pouvoir mettre en place le programme officiel et surtout le socle commun de connaissances, compétences et culture comme je le fais d’habitude, avec ce cadre ?

Le cadre Scrum

Il me semble toujours important d’étendre mes stratégies d’enseignement pour varier les moyens de communication : cours magistraux interactifs, enseignement en petits groupes, en duo, élèves guidés ou en autonomie avec de la documentation.

C’est finalement par hasard, après avoir regardé encore une fois ces deux documentaires sur la permaculture, en Autriche avec Sepp Holzer et en France avec la Ferme du Bec Hellouin de Charles et Perrine Hervé-Gruyer, que j’ai eu le courage de passer le cap : construire un écosystème d’apprentissage autonome. Scrum, comme la permaculture, est un cadre frugal dans lequel vont pouvoir s’épanouir des informations et des connaissances, où rien n’est figé ni définitif. La frugalité de Scrum me plait. Il suffit d’une grande feuille de papier pour représenter un tableau, d’une poignée de post-it, et d’une feuille quadrillée, c’est tout. Pas besoin de moyens technologiques sophistiqués pour motiver les élèves et les rendre responsables de leurs apprentissages. Cette économie de moyens et d’outils stimulent en classe les prises de parole, la créativité et la débrouillardise chez les élèves pour trouver comment atteindre des objectifs, comment améliorer les connaissances, comment s’enrichir mutuellement, un petit pas après l’autre.

Le but, dans une salle de classe, est d’augmenter la fluidité des informations et de fournir rapidement de la valeur à chaque individu. Une des particularités dans l’enseignement est que chaque élève est son propre client. Il passera ses journées à s’enrichir, à augmenter ses capacités cognitives, à expérimenter… pour lui. En premier lieu, les élèves sont dans une classe-laboratoire et découvrent, apprennent pour eux-mêmes. Je ne suis que le garant et le facilitateur de leurs apprentissages. Je ne suis pas encore capable de leur promettre à tous une parfaite réussite au Brevet.

Par conséquent, il est important que tous les élèves ne soient pas contraints par un même rythme d’apprentissage. Ceux qui souhaitent apprendre plus rapidement, être plus souvent évalués, ont cette possibilité, sans que le groupe en soit pénalisé.

Depuis 02009, j’ai établi des cadres restreints autour des différentes activités du cours de français : des fiches de suivi, un Grammosome, un Bento, un Accrotexte ou la Dictée Amicale, un tableau Kanban… Ces cadres permettent des interactions entre les individus et ils augmentent les possibilités de faire émerger des initiatives : développer un processus basé sur le couple essais/erreurs. Ce sont des outils pour faire émerger les informations et les obstacles. Ils permettent de consolider les connaissances. Ils m’informent également sur les compétences de chaque élève.

Avec Scrum le cadre s’élargit pour englober ces différentes activités.

Mes 3 objectifs restent invariables quels que soient les moyens utilisés :

  • chaque élève doit pouvoir expérimenter en classe
  • je dois créer le moins de dégâts possible
  • chaque enfant doit pouvoir progresser

Dans ce billet, je présente un cadre qui est inspiré de Scrum ou d’eduScrum. En effet, je suis dans la phase d’apprentissage du Shu Ha Ri.

Explications du concept de Shu Ha Ri par Claude Aubry dans son livre Scrum :

Je présente donc mes premiers pas dans un Shu-Scrum ou Shu-eduScrum : suivre et appliquer les règles, les processus, les artefacts. Je pourrai prétendre « faire du Scrum » lorsque j’aurai acquis suffisamment d’expérience.

Les lectures qui m’ont aidé pour cette mise en place :

Le site Scrum@school

Le guide Scrum

guide_eduscrum_1.0_fr.pdf

Le livre Scrum de Claude Aubry

La formation Scrum de Romain Couturier

La conférence Scrum Shu Ha RI de Christophe Addinquy

Phase préparatoire : mes premiers pas m’ont conduit à trouver des feuilles adéquates pour les panneaux Scrum (supports de la communication visuelle), les post-it qui conviennent, l’emplacement pour afficher les panneaux dans la salle et le lieu pour les stocker, du scotch, des épingles, des aimants… tout ce qu’il faut pour être matériellement au point dès les premiers instants de Scrum. Mon inquiétude est de ne pas faire perdre de temps aux élèves.

La mise en place s’est faite rapidement, en une heure environ. Je ne promets rien, pas plus de réussite, pas plus de compréhension, pas plus de meilleures notes. Un atout de taille : depuis septembre tous les élèves sont habitués à être dans mes cours alternativement en groupes, ou seuls, ou en duo. Ils savent échanger des informations en classe ou en dehors avec Slack par exemple. Mes angoisses se sont donc vite atténuées. J’ai réussi à prendre à peu près en main, sans trop de dégâts, le cadre inspiré par Scrum, et, ne pas perdre les élèves dans ce cadre. Bien sûr, pour la première classe, la mise en place a été très laborieuse car mes explications n’étaient pas vraiment compréhensibles ; 5 heures après j’en subis encore les conséquences. Je me suis amélioré au fur et à mesure avec les 3 autres classes.

Le projet : Chaque élève doit créer un petit carnet afin d’analyser un livre. Ce carnet est à remettre dans 2 semaines et demi, soit dans 12 heures environ. La date est fixée et elle ne peut plus être modifiée. Scrum encadrera toutes les activités pour la création de ce carnet.

un petit carnet à créer

Je propose 5 ou 6 objectifs à traiter suivant les classes par rapport aux nombre d’heures de cours disponibles jusqu’à la date de remise des carnets. Ces objectifs sont les Stories : « être capable de faire le portrait du personnage principal » / « Etre capable de créer un QCM (4 questions avec 2 réponses) » etc…

En tant que « Product Owner« , je suis garant et responsable (partagé avec l’élève) des progrès de chaque élève, garant et responsable du programme officiel et du socle des compétences.

Avec le cadre Scrum, toutes les informations sont visibles par tout le monde (élèves, moi, intervenant extérieur) sur un panneau, et sur les murs. Il est clair que plus les enfants possèdent des informations dans un cadre parfaitement défini, plus ils ont confiance et plus ils peuvent développer leur capacité à expérimenter. Cette transparence permanente est une force particulièrement puissante. C’est d’ailleurs un des trois piliers de Scrum. Les deux autres piliers sont l’inspection et l’adaptation.

A partir du programme officiel, je mets en place les stories : objectifs d’écriture, de lecture, d’oral, de compréhension de problèmes linguistiques.

Devant les élèves, j’ajoute les critères d’acceptation pour le projet : écriture de phrases, pas d’erreurs sur le pluriel / les accords sujet-verbe, ne pas avoir moins de 8/20, etc… Les critères et les points pour le projet final sont expliqués et affichés.

Puis, avec les élèves nous définissons les critères de Fini : qu’est-ce que veut dire un carnet fini ? Comment est-il lorsqu’il n’est pas fini ? Quelle créativité apporter ? Quel Soin ? Etc…

Les groupes sont composés de 4 ou 5 élèves. L’un d’entre eux est responsable du panneau Scrum : il est le ScrumMaster, seul autorisé à se déplacer pour coller les Post-it sur le panneau. Il n’est pas responsable du groupe ni le chef du groupe. Il est garant du cadre dans lequel l’équipe évolue. Tous les élèves prennent des décisions. Ils sont dans une situation où ils expérimentent, écrivent, lisent ou cherchent seuls à l’aide des autres élèves du groupe. L’entraide, c’est poser des questions aux autres, comparer, recopier, créer quelque chose de différent, etc… La création du carnet demeure donc une activité personnelle, ce n’est pas l’aboutissement du travail d’un groupe dans lequel chacun aura fait une partie des créations. J’essaie de montrer aux élèves que tous doivent être capables de faire toutes les activités. Ils sont en équipe pour s’entraider.

A partir de ces différents éléments, les élèves possèdent toutes les indications pour se mettre à réfléchir ensemble aux différentes tâches.

Les tâches : Cette activité pour la création et l’invention des tâches est non seulement particulièrement intéressante mais elle est primordiale. Elle va générer la motivation de chacun.

En équipe, les élèves doivent découper chaque stories en petites actions identifiables (à faire) qui permettront d’atteindre l’objectif fixé. Ils réfléchissent ensemble et apprennent à anticiper. Cette première partie me permet de savoir si ma story est compréhensible, si chaque élève parvient à imaginer ce que j’attends de lui. Ainsi il m’est arrivé de donner des explications sur ce que j’attendais et j’ai alors pu modifier ma story. C’est une véritable collaboration entre les élèves et moi. Lorsque nous nous comprenons tous, lorsque toutes les ambiguïtés sont éliminées, il ne reste que des éléments transparents avec des exigences explicites. Cette transparence permet la confiance. Je suis donc continuellement en train d’ajuster mes informations orales et écrites afin que nous soyons tous sur la même longueur d’onde.

Dès la troisième heure j’ai ajouté les deux derniers outils de Scrum : le Burn Down Chart et la Mêlée.

Pour le Burn Down Chart, nous dirons la grille d’avancement, ce fut un choc pour les élèves de 5e, des enfants de 12 ans. Pendant les deux premières heures, l’attitude était très décontractée ; tous ces post-it à coller, toutes ces activités à créer les rendaient particulièrement joyeux mais assez éloignés d’un travail efficace. Puis lorsqu’ils ont vu le retard qu’ils étaient en train de prendre grâce à la grille d’avancement, ils se sont tout de suite pris en charge, eux-mêmes. Ensuite leur attitude est devenue rapidement studieuse sans mon intervention.

Panneau Scrum et Burn Down Chart

Pour cette première expérience de Sprint, j’ai établi à peu près le nombre de tâches qui seront effectuées pendant les deux ou trois semaines, suivant les classes. Je me suis basé sur 12 heures environ et 13 à 15 tâches. Effectivement pour 5 ou 6 Stories, les groupes ont trouvé à peu près 15 tâches. Pour être à l’aise dans cette première expérience, j’ai estimé qu’une story pouvait être réalisée en une heure. En 6 ou 7 heures les élèves peuvent donc terminer l’ensemble des objectifs.

La Mêlée : en début de chaque cours, avant de démarrer la suite de leurs tâches du jour, les équipes se réunissent devant leur panneau. Tous les élèves sont debout. A tour de rôle, chacun s’exprime sur ce qu’il a fait au cours précédent, ce qu’il fera pendant ce cours et les obstacles qui l’empêchent de progresser. J’aime beaucoup ce moment rapide, presque hors du temps. C’est un moment d’attente, presque d’impatience pendant lequel ils échangent sur leurs tâches, leur participation, leurs inquiétudes. Dès qu’ils ont terminé, chaque équipe se retrouve autour des tables pour s’engager dans les activités.

une Mêlée pour faire le point

Avec la grille d’avancement, à chaque heure de cours, chaque élève peut voir si son équipe est en retard ou en avance. Cette grille est particulièrement efficace. Ils n’ont pas besoin de mon énergie pour les motiver à avancer. Je peux donc me consacrer à d’autres tâches pédagogiques : conseils, questionnements, aides…

A l’aide de cette grille d’avancement, ils peuvent choisir leurs pauses FUN, pour fêter leurs réussites. Une pause de 5 minutes, pas plus : une partie de Dobble, ou jouer au basket, ou faire une partie de ping pong, ou jongler, ou encore dessiner sur les post-it.

Ils poussent les cahiers, s’octroient une compétition sur leur attention, pendant que les autres équipes continuent leurs activités. J’avais une petite appréhension avec ces pauses, mais finalement, les élèves sont aussi sérieux pendant ce type de pause que pendant les apprentissages.

Une pause active de 5 minutes

Je considère que le jeu est toujours une activité sérieuse. Je leur propose des jeux qui demandent de la dextérité, de l’attention et de la concentration pour leur cerveau en plein développement. Etre dans une salle de classe, c’est en premier lieu éprouver des émotions variées, être heureux avec son équipe, avoir du plaisir à échanger, à expérimenter ou à découvrir les autres. Je suis toujours étonné que les enfants n’aient rien pour jouer au collège pendant les pauses, rien qui puisse les éveiller et enrichir leurs capacités cognitives, pas grand chose qui puisse leur faire dire « c’est génial de venir au collège« .

Sur les 4 classes, quelques équipes seulement de 3 classes ont suggéré de faire une pause Fun après avoir réalisé 3 ou 4 tâches de manière approfondie. Après cette petite récompense active, pendant laquelle quelques élèves ont pu se découvrir autrement, ils ont repris une nouvelle tâche sur leur panneau Scrum.

Enrichir les capacités cognitives

En guise de conclusion pour cette découverte : Durant ces premières heures de ce sprint, j’ai vraiment été surpris par la capacité d’adaptation des élèves, par leurs échanges et leur sérieux, et par leur motivation à se plonger sans efforts dans les oeuvres littéraires et dans les activités d’écriture. J’ai pu me rendre compte, avec si peu d’heures, que Scrum, ce cadre de processus, laisse une large place aux élèves pour qu’ils puissent chacun émettre des choix et utiliser leur créativité pour atteindre les objectifs.

En effet, avec Scrum, l’élément particulièrement intéressant, et complètement nouveau pour moi, est que les équipes doivent trouver-inventer-créer les tâches qui permettront d’atteindre l’objectif décrit dans chaque stories. A cet instant commence le levier primordial qui enrichit chaque enfant, c’est la triade Initiative-Autonomie-Responsabilisation :

  • Initiative : chaque enfant a le droit d’être débrouillard, malin, et de prendre des risques. Ils posent de nombreuses questions. Ils peuvent faire des choix.
  • Autonomie : ils apprennent à anticiper pour découper chaque story en différentes actions, et ne sont plus totalement dépendants du professeur, mais construisent leurs connaissances et leur culture grâce aux autres élèves de l’équipe.
  • Responsabilisation : ils s’engagent véritablement dans les expérimentations car ce sont les élèves eux-mêmes qui les ont choisies. Ils deviennent responsables de leur apprentissage, de leur formation. Ils ont conscience qu’ils peuvent fixer leurs propres limites, et les dépasser.

C’est par cette triade que je suis vite devenu spectateur de leurs activités. En effet, tous les élèves (sauf deux) de mes quatre classes ont été captivés par les tâches qu’ils avaient eux-mêmes créées. Dès le début ils ont tous été particulièrement actifs, volontaires et exigeants les uns avec les autres. Des élèves qui ne parvenaient pas à travailler ensemble dès la deuxième heure ont réussi à surmonter seuls cet obstacle au cours suivant.

J’ai pu fournir de très nombreux feedbacks très rapides, redirigeant des élèves perdus, égarés sur des pratiques inutiles, ou proposant des réponses erronées.

J’ai surtout beaucoup félicité et encouragé.

Quels obstacles pour ce projet qui prend du retard ?

Je suis dorénavant beaucoup plus en capacité de pouvoir aider, encourager, ré-orienter, discuter, répondre aux questions de chaque élève. Ainsi, dès les premières tâches, chacun peut avancer à son rythme suivant ses capacités et aucun élève, sauf deux, n’est laissé à l’écart.

Cette aventure Scrum me fait penser à la course du Vendée Globe : On connait la destination mais on ne sait pas comment l’atteindre. Les décisions ne sont jamais définitives.  Chaque jour, parfois chaque minute, il faut changer de cap, prévoir une nouvelle route, modifier le réglage des voiles, ne pas forcément chercher une allure maximale, surveiller les instruments, savoir ralentir pour éviter un gros temps.

Il est clair qu’il est difficile de mettre en place Scrum si on ne fait pas confiance à tous les élèves.

Ainsi, dès les premières minutes j’ai dû modifier plusieurs strories que j’avais prévues. Pendant cette première semaine, j’ai souvent pris de nouvelles directions, mais le plus important c’est que des élèves également ont modifié sur le panneau ce qu’ils envisageaient de faire. Nous ne sommes plus sur un mode séquentiel des apprentissages. L’apprentissage est ainsi davantage une réponse à des problèmes posés par les élèves, des obstacles aléatoires et inattendus.

Pour cette première mise en pratique d’un sprint, je n’ai pas suivi les recommandations d’eduScrum :

  • j’ai créé les équipes sans concertation avec les élèves : j’ai mélangé garçons et filles, élèves bavards et timides, débrouillards et placides… Au bout d’une semaine, soit 5 heures de cours, les groupes me paraissent corrects et tous les élèves échangent cordialement.
  • Je n’ai pas non plus tout expliqué aux élèves en une seule fois. Je les ai mis le plus rapidement dans le cadre Scrum puis j’ai ajouté progressivement les supports et les indications propres à Scrum au fur et à mesure des besoins.
  • Enfin je pense que mes sprints ne dureront pas deux mois, mais deux semaines ; En fait, je pense que je ferai une release de deux mois (soit six/sept semaines) sur un thème de littérature, et cette release sera composée de deux ou trois sprints (un sprint = 9/10 heures).

En espérant n’avoir pas trop dévié de Scrum. Les prochaines utilisation de Scrum me permettront de voir la pertinence de ce cadre.

*

Le 2 avril 02017 :

Je découvre cet article Guide de démarrage Scrum

et cet excellent récit (PDF) pour comprendre cadre Scrum Scrum et XP depuis les tranchées

Le 6 avril 02017 :

En complément de mes premiers pas dans Scrum, je découvre ce matin ce guide particulièrement pertinent : Guide de Survie à l’Adoption ou Transformation Agile

Le 8 février 02018 :

Depuis l’écriture de ce billet, de nombreuses modifications, améliorations sont apparues. A chaque mise en place d’une méthode ou d’une stratégie, je recherche avant tout la frugalité. Il me faut donc élaguer et m’adapter à la réalité de la classe et des élèves ainsi qu’aux objectifs visés. Par conséquent je ne mets plus en place différents éléments présentés ici :

– suppression du burn down chart (grille d’avancement)

– la mêlée au début de chaque cours

– les activités FUN et les pauses

– le panneau a été remanié et amélioré en fonction des objectifs d’apprentissage.

21 avril 02018 :

Avec la pratique d’une année, il m’apparait plus clairement que Scrum dans le cadre strict de l’enseignement – c’est à dire sans finalité de production ou de service comme dans une entreprise – est insuffisant voire inutile pour répondre aux besoins des élèves. Élaboré par et pour des spécialistes de la programmation, Scrum n’est qu’un cadre de processus, un cadre d’activités vide de méthodes d’apprentissage. Il est primordial à mon sens de se tourner vers les méthodologies agiles Extreme Programming et Software Craftmanship : élaboration de tests et apprentissage rigoureux de la grammaire et de la syntaxe (le code). Scrum devenant un simple cadre d’idées pour l’enseignement et l’apprentissage.

En somme, je ne peux privilégier un seul cadre agile, ou une seule méthode. Scrum ne reste donc qu’une influence parmi d’autres. Pour résumé, je dirais quand dans un cadre scrum j’utilise majoritairement la méthode agile extrem programming pour l’acquisition des notions du programme.

12 juillet 02018

L’état d’esprit agile ne propose-t-il pas justement de laisser les individus exprimer leur potentiel, leur créativité, leurs hypothèses, leurs prises de décision et leurs actions en fonction du contexte et des individus, sans cadre pré-défini et sans méthode à priori ? Pour résumer, l’agilité qui est s’adapter, représente donc l’apprentissage permanent.

19 juillet 02018

Un billet, paru ce jour, de Ron Jeffries, créateur de la méthode agile Extrem Programming, à propos de Scrum, tend à confirmer mes intuitions à propos des difficultés d’utiliser Scrum dans l’apprentissage du langage (informatique ou autre) : Scrum is not an Agile Software Development Framework et traduction google ici : Scrum n’est pas un cadre de travail de développement de logiciel agile. Je comprends maintenant mes difficultés pour engager les élèves à terminer les tâches dans le temps imparti, ou l’inutilité des mêlées au début de chaque cours. En somme quelque soit la méthode, le but est de conserver l’état d’esprit Agile : Transparence – Inspecter – Adapter… sans s’enfermer dans une forme de rigidité inutile. L’Agile ne peut se résumer à une méthode. C’est un état d’esprit d’apprentissage, d’évolution.

14 juin 02021

J’ajoute aujourd’hui que Scrum est un cadre de travail pour une équipe de professionnels qui doit mener un projet à son terme en créant de la valeur et en éliminant rapidement les erreurs et les fausses pistes. Scrum n’a pas été créé pour que les individus développent de nouvelles connaissances ou de nouvelles compétences. Dans le cadre Scrum, les professionnels sont hyper-compétents, De plus ils sont indépendants et autonomes. Ils savent dialoguer et savent se remettre en question.

Or dans l’apprentissage en classe, aucun élève n’est compétent. Le but n’est pas de mener une équipe d’élèves vers un projet final commun, mais bien que chaque individu puisse apprendre et se développer indépendamment les uns des autres, ou que chacun puisse être aidé par les autres.

La démarche n’est donc pas du tout la même. C’est la raison pour laquelle je ne préconise pas Scrum pour mettre en place le socle commun associé au programme disciplinaire.

19 commentaires sur « Scrum, première approche en éducation »

  1. Bonjour,C’est trés interessant, merci pour ce partage et ce retour d’expérience. Cela fait un petit moment que je réflechis à comment adapter l’agilité avec l’éducation et l’instruction de mes enfants, vous m’avez donné quelques pistes merci!

    1. Le Manifeste Agile, scrum, XP, crystal clear et le lean sont les états d’esprit et méthodes les plus puissants et pragmatiques que j’ai pu trouver pour accompagner la pédagogie. Bon courage !

  2. Est ce que vous avez continué l’expérience en 2019/2020 ? Votre partage d’expérience est très intéressant 🙂

  3. Merci de ce partage. Enseignant dans l’académie de Lyon (à Feurs), mes collègues et moi souhaiterions se lancer également dans l’expérience de la pédagogie agile et aimerions bénéficier de vos lumières. Serait-il possible d’échanger directement ? Mon adresse mail est simple : je suis cedric lemery et je suis dans l’académie de lyon. Elle est donc aisée à reconstruire comme toutes les adresses académiques 😉

  4. Tout cela est passionnant, merci. Pourriez-vous nous donner un exemple de ces « stories » avec les tâches associées, de manière à mieux visualiser le travail demandé aux élèves ?

    Par ailleurs, vous soulevez l’importance de laisser une souplesse dans l’évaluation et donnez à ce titre deux variables : la quantité et la temporalité. C’est une question qui me semble décisive, tant c’est sur ce point précis (on peut le regretter) que se cristallise l’estime de soi de l’apprenant. Or, cette souplesse se heurte en partie à des contraintes institutionnelles, du point de vue de la temporalité (trimestres de plus en plus courts, heures réduites, etc.), des modalités d’évaluation (effets de course aux notes/bons points, difficile différenciation dans un environnement normalisé, etc.). Comment s’en sortir ? La même évaluation pour tout le monde ? Ou bien plusieurs évaluations de niveaux différenciés, l’élève devant décider la difficulté dont il se sent capable (après un ou plusieurs feedbacks de l’enseignant, de ses camarades, après des auto-évaluations,etc.) ? Le même moment pour tous (date et durée) ? Ou bien l’élève passe-t-il l’évaluation quand il s’en sent prêt ? Une évaluation sans rémission ? Ou bien la possibilité offerte à chacun de comprendre ses erreurs, d’élaborer une stratégie de remédiation et de la repasser (combien de fois) ? Et comment tisser ces parcours individualisés avec le travail de groupe et d’autre part avec la progression de référence de l’enseignant (ce rythme que reproduisent en miniature vos grilles d’avancement et plus simplement, le passage d’une notion à une autre, d’un texte à un autre, d’un chapitre à un autre, d’une compétence à une autre, etc.) ?
    J’aurais tendance à partir du côté des badges d’antan…

    J’ai beaucoup de questions, j’en suis désolé par avance. Mon cheminement est très lent et très curieux.

    1. Les stories correspondent aux activités et tâches pour atteindre l’objectif choisi, donc rien de très particulier. L’essentiel est qu’elles soient parfaitement comprises par chaque élève (d’où les interactions et les tests) et quelles apportent de la valeur à leur apprentissage par augmentation de leur capacité (de lecteur, de sélectionneur d’informations, de créateur…).
      « répondre en plusieurs phrases à une question afin de montrer (comment/ qui/ à cause de quoi…) », « transformer un texte en ajoutant des adjectifs / au pluriel / avec changement de point de vue », « créer une carte mentale ou du graphisme » etc…

      Mon expérience me fait tendre vers un panel d’évaluations, comme celles que vous citez, tant qu’elles permettent de guider, de créer un échange de réflexions, de faire apparaitre des erreurs récurrentes et d’autres insoupçonnables, ou de préciser les automatismes acquis.
      Ne pas oublier les évaluations qui « mesurent » ce qui dépassent nos cours : celles qui permettent de sélectionner et d’orienter.
      Enfin tout dépend ce que vous voulez évaluer ou mesurer : de la compréhension, de la mémorisation, des procédures, des prises de conscience… et avec quelles tâches et quels niveaux d’engagement dans ces tâches.

      Ainsi, rien de nouveau dans les pratiques pédagogiques (activités, tâches, évaluations, progression, objectifs…). Ce qui est nouveau, ce qui est mis en valeur, ce sont les accompagnements à l’autonomie dans son propre apprentissage, à la responsabilisation à la dépendance des autres, des preuves, des outils qui permettent d’acquérir des compétences, de la culture et des connaissances.
      Pour finir, je dirais que tout est inscrit en détails avec précision (trop sans doute?) dans les programmes et le S4C. Il manque uniquement le mode d’emploi pour relier l’un à l’autre et pour modifier sa posture pédagogique.

      Pas de souci. Le cheminement ne peut qu’être lent.

  5. Bonjour,

    J’ai lu votre article avec beaucoup d’attention. Je suis impressionné par toutes vos innovations et expérimentations pédagogiques. Concernant l’utilisation de la méthodologie Scrum en milieu scolaire, je regrette que vous ne vous soyez pas donné la liberté de renommer certains éléments en français simplifié. Parler de « stories » à des gamins, est-ce que cela leur parle au premier abord? « Critères d’acceptation » en entête de rubrique, à la place de « définition of done », d’accord. Mais ne pourrait-on écrire à la place par exemple » le travail sera accepté si….. ».

    Ma suggestion est, dans un premier temps, de faire en sorte que l’utilisation des termes techniques de Scrum n’ajoute pas à sa complexité et à l’éventuelle difficulté pour les apprenants de se l’approprier. On peut faire du scrum sans parlerle « scrum ». qu’en pensez-vous?

    En revanche, j’ai vu que vous avez rebaptisé les Burndown charts en « grille d’avancement ». J’adhère!

    Tous mes encouragements pour vos initiatives et mes remerciements pour accepter de les partager avec vos lecteurs.

    1. Bonjour,

      Les enfants n’ont pas eu de problème avec les termes en anglais. Cependant, depuis, j’ai renommé l’ensemble des termes sur les nouveaux panneaux.
      Vous avez raison concernant les termes techniques relatifs à scrum. J’ai épuré depuis avec un cadre plus souple et aussi plus contraignant pour l’apprentissage. En fait, je suis plus dans l’agilité « en général » que dans scrum en particulier puisque je suis autant influencé par scrum que par extreme programming que par crystal clear et que par software cratfmanship.

      J’ajoute que j’ai laissé de côté les grilles d’avancement pour le moment qui n’apportaient pas de réelle valeur et/ou trop rigides dans le cadre d’un enseignement sans projet (ce qui est mon cas dans les cours).

      Merci pour vos encouragements et vos propos précis.

  6. Bonjour ! Tout d’abord, merci pour ce super article. Ensuite, voici mes deux questions : La première, facile : d’où viennent les grandes feuilles sur lesquelles les élèves mettent les post it?
    La deuxième concerne l’estimation de la durée du sprint en fonction du nombre de stories données. J’ai bien lu le paragraphe qui en parle, mais je ne comprends pas tout :
    « Pour cette première expérience de Sprint, j’ai établi à peu près le nombre de tâches qui seront effectuées pendant les deux ou trois semaines, suivant les classes. Je me suis basé sur 12 heures environ et 13 à 15 tâches. Effectivement pour 5 ou 6 Stories, les groupes ont trouvé à peu près 15 tâches. Pour être à l’aise dans cette première expérience, j’ai estimé qu’une story pouvait être réalisée en une heure. En 6 ou 7 heures les élèves peuvent donc terminer l’ensemble des objectifs. »
    Si je comprends bien 5-6 stories = 15 tâches = 6-7 heures
    Or, il est dit plus haut : 13-15 taches = 12 heures environ.
    Je suis perdue : )

    1. Bonjour Cécile,

      J’ai trouvé ces feuilles (format A1 environ) chez Calipage.

      La durée du sprint (2 semaines soit 8 ou 9 heures) intègre des tâches ; en fonction du niveau de la classe je mets en place des tâches qui peuvent être réalisées en 8 heures ; ce n’est pas le nombre de tâches qui est important mais si ces tâches sont réalisables pendant les deux semaines (le nombre de tâches par séance est indiqué par le burn down chart) : par exemple, soit 4 tâches en 8 heures si ces tâches demandent du temps, soit 12 tâches si ces tâches peuvent être réalisées rapidement. De plus, les tâches peuvent être soit uniquement de la grammaire ou de la littérature, soit un mélange de tâches écriture-grammaire-lecture-création.

      Le support et les tâches ne sont que du dialogue, un point de départ de discussion, donc des aménagements, des changements sont possibles en fonction de la réactivité des élèves pendant le sprint.

      C’est mieux ?

  7. Encore une fois, merci pour ce que tu me fais découvrir. Depuis que mes effectifs ont triplé, j’ai un mal fou à maintenir l’efficacité que j’ai mis si longtemps à construire, et je suis à la recherche de nouvelles formes d’organisation des travaux. J’avoue ne pas avoir tout compris à ton billet – qui est très technique – mais le guide eduScrum que tu proposes en lien est passionnant et ton expérience en est une très éclairante illustration. Le graphique d’avancée des travaux est pour moi une révélation, mais j’ai du mal à l’avoir en gros plan et je ne suis pas sûre d’avoir bien saisi la façon dont tu le remplis ; pourrais-tu ajouter une photo sur ce seul document, ou une petite explication ?

Laisser un commentaire ou une aide, merci